Nombreuses sont les otages rassemblées en ce lieu - une prison, un hôpital, un bordel? En haut, Têtra, «?la boss, la maîtresse, la femme aux mille pattes?», les surveille en ricanant. Sous son regard attendri mais cruel, les otages font l'amour et la fête, torturent un homme qui a violé une des leurs, accouchent, s'entretuent. L'alcool arrosant les pilules, chacune contemple ses blessures : «?elles sont la vraie société, aussi pire, aussi malade, aussi vulnérable?». La vie était dure dehors?; elle ne l'est pas moins dans cet étrange aquarium. Or «?ici au moins, pensait Kâlisse, les lucioles du rire passaient parfois?».
Dans les années 1990, Denis Vanier a publié aux Herbes rouges une série de recueils à la sobriété brutale. L'urine des forêts, à la fois souvenir de l'amour perdu et abjection quotidienne, est l'avant-dernier de ces livres. Le poète y admet la puissance terroriste du mal qui l'a envahi. Ces textes sont ceux de la révolte adolescente, écrits avec les mots lucides de la maturité.
Encore une autre vie tournant sur elle-même. Un disque qui saute? Le langage n'a jamais sauvé personne. Le langage me sauve tous les jours. Une autobiographie ratée? Je suis trop jeune de toute façon. Le présent, mais contaminé par des souvenirs réels et inventés. Une histoire? Petites histoires, poèmes, vie, mort, enfant, adulte, enfant, adulte, argent, pas d'argent. Intérieur, extérieur. Tout cohabite, internet, un imaginaire obsédé par les cercles et la mort et cela s'explique peut-être par mes longues promenades circulaires à Longueuil. J'aime vivre aussi. Vraiment beaucoup. Je cherche encore mon rythme, je cherche dans mes poches, il me reste un vingt, j'ai dix doigts, des jambes.
Abandons Abandon dans la mort, dans l'amour, dans la violence, dans la peur, dans l'alcool: le propos de cette poésie tient dans les faits du quotidien, du réel. Les mêmes attitudes, les mêmes mots se retrouvent d'un poème à l'autre, mais chacun d'entre eux bascule inévitablement dans le rêve ou le fantasme. Abandons révèle des scènes concentrées où l'intensité provient de détails superflus, inattendus, quelque chose qui soudainement serait plus grave que la mort. Peu à peu s'établissent entre ces scènes des liens, des rythmes communs. Ces visions fugitives sont fixées là, tout de suite, sans nécessairement être développées. Le poème est la forme idéale pour qu'on ne puisse oublier ces instants. La maison d'Ophélie La maison d'Ophélie explore la frontière qui sépare la vie normale du chaos. Chaque poème a le pouvoir d'investir les objets et les êtres d'une inquiétante étrangeté en suggérant une menace omniprésente cachée au coeur des apparences. Ces poèmes écrits en écho sont à la fois commentaires l'un de l'autre, et jeu de dualité et de résonances. L'imaginaire y contamine peu à peu la réalité. À preuve, ces nombreuses scènes du quotidien qu'un élément suffit à brouiller et à faire basculer dans une autre dimension.
Quatorze fois Huguette a été harcelée, touchée, embrassée contre son gré, violée. Quatorze fois elle s'est relevée, grelottante de honte ou couverte de sang. Et, comme toutes les Huguette, elle s'est refermée sur ses secrets. Quatorze fois, Huguette a survécu. Aujourd'hui qu'elle est vieille, lui reviennent les mots d'un poème ancien : « Ô madame, pourquoi ce chagrin qui vous suit? » Alors, Huguette s'attelle à extraire de sa mémoire ces événements qui l'ont marquée. Exilée dans un conteneur sans fenêtre, au milieu d'un paysage beau et aride (comme dans son film préféré, L'homme sans passé), elle se consacre toute entière à la tâche. Une fille sans fusil est son histoire, celle d'une Huguette qui aurait voulu être Jeanne d'Arc.
La canicule écrase Rome, où l'écrivaine pose ses valises. Qu'est-elle venue trouver parmi les foules de touristes, elle, l'Italienne née déracinée en Amérique? Dans les rues de la capitale, la vie exubérante côtoie le souvenir de mille tragédies. Rome est le théâtre d'une violence répétée, ce cinéma où l'on s'assoit, agitée, pour assister au programme double de la femme tuée. La poète parcourt la ville, attentive aux fantômes qui passent. Ce livre pourrait être le compte rendu de sa conversation avec les esprits. C'est un retour sur les lieux du crime, le renouvellement des voeux, un face à face avec un passé qui hante : celui de l'Italie, et aussi l'histoire sanglante des femmes.
Émilie Monnet rencontre Marguerite Duplessis, cette femme autochtone mise en esclavage qui a été la première à défendre sa liberté lors d'un procès en Nouvelle-France, en 1740. Suivant ses traces du Québec à la Martinique, Émilie interroge les archives et leurs résonances.
Qu'advient-il de nous lorsque les liens qui nous unissent, longtemps éprouvés, se dissolvent ? Quand « il ne reste qu'une lande soumise / au brouillard, aux aléas des vents orageux, / que l'herbe, les montagnes, les fleuves / et les rochers perdent leur essence, » la poésie au souffle inébranlable de Marcel Labine s'élève, comme surgie d'en dehors du temps. Phrases disloquées, amples, entêtées, ces poèmes racontent de nombreuses facettes de la même dépossession : ne rien devoir à personne, ne faire aucune promesse, n'obéir qu'à soi-même, vivre détaché, indépendant, bâtard, sans ancêtres à louanger ni legs à préserver. Naître de ses oeuvres, nier la mort, jubiler, « riche de l'admiration que l'on voue / à ceux qui ne regardent pas derrière eux ». Et disparaître, sans faire de vagues, entre un requiem et un opéra, entre les hurlements du poète forcené et la cohue du métro.
Nattes présente les poèmes écrits par Philippe Haeck entre 1971 et 1977 : ses débuts d'écrivain. Nourrie de ses lectures, son écriture résonne de citations, réécritures et traductions, dans une intertextualité plus généreuse qu'érudite. Mais surtout, s'y rejoignent les diverses luttes des opprimé·e·s, celles des femmes et des luttes ouvrières. Dans cet appel à la révolution, de nombreux chemins de traverse se dessinent entre l'acte de création littéraire et l'urgence politique. Pour cette nouvelle édition, l'écrivaine et professeure Laurance Ouellet Tremblay signe une préface qui accueille ces poèmes pour les réinscrire dans la brûlante actualité.
Cela commence avec une morte. Une petite sūur morte. Dans la maison où s’étouffent les lamentations de maman, la grande sūur joue désormais seule, guettant les indices de sa compagne perdue. Le temps passe et la plainte de maman ne cesse pas. La grande sūur pousse et quitte le foyer. Que faire : porter le deuil à perpétuité ou l’enfouir loin ? « Qui ose guérir ? » Quand la grande sūur, maintenant femme, accouche d’une fille à son tour, l’enfant se révèle étrangement douée pour les spectres. Il faut se rendre à l’évidence : comme l’ancolie, cette vivace incontrôlable qui fleurit encore quand toutes ses feuilles ont été grugées par des insectes, les enfants mortes existent si elles veulent.