La présente édition du texte de M. Yourcenar est accompagnée par l'ensemble des planches de la série Les Prisons, l'oeuvre de Piranèse publié en 1745 et qui a valu à l'artiste une immense célébrité. En soulignant le rapport entre images et texte, entre Piranèse et Marguerite Yourcenar, ce livre propose une traversée de l'univers imaginaire de l'artiste avec sa relecture de Rome et du monde antique.
Un univers habité par une atmosphère à la fois surprenante et angoissante : "Sans les audaces presque démoniaques des Prisons, nous hésiterions à reconnaître sous l'apparent classicisme des Vues et des Antiquités romaines le chant profond d'une méditation à la fois visuelle et métaphysique sur la vie et la mort des formes". Piranèse, qui s'intitulait lui-même " architecte vénitien ", a été un exceptionnel graveur-poète et aussi théoricien.
La force de ces créations a influencé des générations d'artistes et d'architectes : "C'est à un Français, Jacques-Guillaume Legrand, qu'on doit d'avoir reccueilli de la bouche de Francesco Piranesi la plupart des détails qu'on possède sur la vie, les propos, et le caractère de Piranèse (...). On voit un homme passionné, ivre de travail, insoucieux de sa santé et des aises, dédaigneux de la malaria de la Campagne Romaine, se nourissant exclusivement de riz froid au cours de longs séjours dans les sites solitaires et malsains qu'étaient à l'époque la Villa d'Hadrien ou les ruines antiques....
Images réunies par Jerry Wilson. Avant-propos de l'auteur
«Le 3 octobre ou le 4, me trouvant à l'hôpital de Bangor, Maine, où j'étais hospitalisée depuis deux jours, et ayant subi ce matin-là un angiogramme, J., arrivé de Paris deux ou trois jours plus tôt pour me soigner, et lui-même malade, me mit entre les mains l'admirable plaque de malachite que je lui avais donnée pour son anniversaire, le 22 mars précédent, quand il était lui-même à l'hôpital de Bar-Harbour, que j'avais marchandée à plusieurs reprises, en 1983 et 1985 à New Delhi, pour lui. Elle était un peu chère. Elle ne l'avait pas quitté depuis. Mais mes mains étaient sans doute un peu faibles, ou moi-même un peu assoupie, car j'ai senti glisser quelque chose, un bruit léger, fatal, irréparable. J'étais bouleversée d'avoir ainsi détruit à jamais cet objet qui avait tant compté pour nous, cette plaque de minéral au dessin parfait à peu près aussi antique que la terre. D'ou était-elle venue pour nous attendre deux ans chez un bijoutier hindou, pour passer et repasser l'océan aux mains d'un ami qui n'a peut-être plus longtemps à vivre? De quel Himalaya, de quel Pamir? Mais le son même de sa fin a été beau... Oui, me dit-il, la voix des choses. Je voudrais retourner en Inde pour retrouver pour lui une autre plaque aussi belle que celle-là. Mais j'ai décidé d'appelé ce petit livre - où rien à peu près n'est de moi, sauf quelques traductions - mais qui m'a servi de livre de chevet et de livre de voyage pendant tant d'années, La voix des choses.»Marguerite Yourcenar.